L’éveil des masses : cette chimère écologiste

by | Jun 15, 2020 | Fausses solutions | 0 comments

« On parle beaucoup d’écologie ces derniers temps. Grâce à ça, la prise de conscience commence, les comportements évoluent, ça avance doucement, mais ça avance. »

On entend souvent ce discours. Vous pourriez le qualifier d’optimiste. En réalité, il est erroné. Il me paraît même dangereux : maintenir des espoirs infondés empêche de penser des solutions réalistes.

La « prise de conscience » a eu lieu il y a 50 ans

On pense souvent que la prise de conscience écologiste est une nouveauté. Pourtant, l’écologie, on en parle depuis quelques années. Un bref rappel de l’actualité écologique des années 70 nous donnera comme une impression de déjà vu.

Du côté des associations, les années 70 sont fructueuses : se créent Greenpeace (1971), la Fédération française des sociétés de protection de la nature (FFSPN, 1968) et les Amis de la Terre (1970). L’action de ces derniers « se fonde sur le constat d’une crise écologique globale et planétaire. Les multiples mises en garde dans les années 1960 contre les effets polluants ou l’inquiétante disparition des espèces animales et végétales sont considérées comme les révélateurs d’une crise plus générale pour laquelle les solutions techniques seraient insuffisantes »1https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2012-1-page-179.htm. En 1972, le journal La Gueule ouverte, créé par un journaliste de Charlie-Hebdo, lance un appel à « changer sa vie ». Le « retour à la terre » devient à la mode.

Un bref rappel de l’actualité écologique des années 70 nous donnera comme une impression de déjà vu.

Le politique n’était pas en reste. En 1971 est créé le ministère de la Protection de la nature et de l’Environnement. La même année, l’UNESCO crée le programme MAB (Man And Biosphere), qui donne lieu à la création de Réserves de biosphère en 1976.

En 1970, aux États-Unis, 20 millions de personnes participent à une manifestation écologiste : la première célébration du Jour de la Terre (Earth Day). En 1973 est mise en place la première ZAD moderne (qui ne portait pas ce nom) sur le plateau du Larzac, en opposition à un camp militaire. En 1978, lors du naufrage d’un pétrolier aux abords des côtes françaises, des actions sont menées contre la compagnie responsable du bateau et contre Shell à qui était destiné le pétrole : occupation du siège parisien de la multinationale par les Amis de la Terre, appel au boycott…

Ces nouvelles pourraient aussi bien dater de 2 ans, elles seraient tout aussi crédibles. Il n’y a donc rien de nouveau dans la « prise de conscience écologiste » de ces dernières années.

À lire ensuite:
La magie de l'efficacité énergétique

Il n’y a pas de changement de comportement

Les discours écologistes sont présents depuis 50 ans, avec des flux et des reflux. Malgré cela, il est impossible de voir un quelconque changement des comportements, n’en déplaise aux optimistes.

L’empreinte carbone des Français reste stable depuis 1995. On ne peut pas vraiment affirmer que les “comportement évoluent”

À l’échelle française, en dépit des nombreuses innovations technologiques, l’empreinte carbone des Français reste stable depuis 19952https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2020-01/datalab-essentiel-204-l-empreinte-carbone-des-francais-reste-%20stable-janvier2020.pdf. Ces émissions sont aux alentours de 11 tonnes de CO2 par an et par Français. Il faudrait les baisser à 2 tonnes de CO2 par an pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris3https://www.carbone4.com/wp-content/uploads/2019/06/Publication-Carbone-4-Faire-sa-part-pouvoir-responsabilite-climat.pdf. À l’échelle planétaire, les émissions de CO2 passent de 6 gigatonnes en 1975 à 11 gigatonnes en 2017.

On ne peut pas vraiment affirmer que les “comportement évoluent” : on parle beaucoup mais rien ne change.

Il y a donc deux erreurs dans notre sens commun : le changement de mentalité n’est pas nouveau, et il n’engendre pas de changement des comportements. Paradoxal ? Oui, si l’on est un fervent croyant du pouvoir des idées, bien moins si l’on prend en compte l’importance du contexte

L’idéologie n’explique pas tous les comportements

Aujourd’hui, un Allemand émet en moyenne 8,89 tCO2/an4 sans compter une part importante de CO2 “importé”, c’est à dire émit à l’étranger pour la consommation allemande.https://www.google.com/publicdata/explore?ds=d5bncppjof8f9_&met_y=en_atm_co2e_pc&idim=country:DEU:FRA:ITA&hl=fr&dl=fr. Un Équatorien moyen émet 2,75 tCO2/an 5même si la situation a beaucoup évolué depuis, l’Equateur reste peu polluant en comparaison de pays “développé” https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/tend/ECU/fr/EN.ATM.CO2E.PC.html. Un allemand émet donc plus de 3 fois plus de CO2. Entre une famille allemande et une famille équatorienne, quelle a été la plus sensibilisée aux écogestes ? On peut, je pense, s’accorder sur le fait que ce n’est pas la propagande écologiste qui a rendu l’Équatorien écoresponsable. Je ne pense pas qu’il se dise particulièrement « zero-waste », pourtant il n’y avait pas un seul emballage plastique dans ses achats.

Si nous pouvons observer de telles disparités de comportement entre différents pays, et entre différentes époques, elles ne se justifient pas par des variations de la conscience écologique.

Si ce ne sont pas les idées qui influent les comportements, alors qu’est-ce ?

Les limites de l’influence idéologique

Il faut réaliser que les actions des individus, mais aussi des entreprises et des États sont conditionnées par deux facteurs : leur idéologie d’une part, mais aussi leur contexte, d’autre part.

Personne ne remet en question le travail qui doit être effectué pour intégrer l’écologie dans notre mode de pensée. Malheureusement, même chez une personne de bonne volonté, ce changement idéologique prend du temps.

À lire ensuite:
2. Les fausses solutions.

Et il faut admettre que tout le monde n’est pas de bonne volonté. Le PDG de Total considère par exemple que le pétrole a de beaux jours devant lui 6https://www.boursorama.com/actualite-economique/actualites/il-n-y-aura-pas-de-grand-soir-le-pdg-de-total-previent-que-l-energie-fossile-a-de-beaux-jours-devant-elle-8e0381bd178b607d457e096ccf06fdec. Bien entendu ! Sa richesse, son autorité et son prestige dépendent de cet avis ! Il en va de même pour les divers présidents et ministres : la structure même du pouvoir, le maintien de l’État, et donc leur statut dépendent de la croissance économique. Comment peut-on espérer qu’ils initient des actions contre la croissance, actions qui seraient pourtant nécessaire ?

Force est d’admettre que les personnes qui sont en position de pouvoir dépendent très justement du système actuel pour se maintenir dans leur situation, elles sont donc structurellement opposées à un changement du système : cela signifierait du même coup la perte de leur pouvoir.

L’importance du contexte

L’idée ici n’est pas de rejeter la force des choix et de l’idéologie qui les sous-tend, mais de montrer que ces choix sont conditionnés par un contexte. On exerce notre libre arbitre parmi un ensemble de possibilités : cet ensemble de possibilités est ce qu’on appelle ici le contexte. C’est précisément ce contexte qui explique la variation entre l’Équatorien et l’Allemand. On tend à oublier que les militants écologistes ont une réelle capacité d’action sur les idées, mais aussi sur ce contexte.

On tend à oublier que les militants écologistes ont une réelle capacité d’action sur les idées, mais aussi sur le contexte

Je vous assure que notre société cessera de détruire la Nature lorsqu’elle n’aura plus les moyens pratiques de le faire. On peut être certain que nos sociétés cesseront de consommer du pétrole lorsqu’elles n’y auront plus accès. Par exemple, le mouvement de libération du delta du Niger a provoqué une chute de 30 % de la production pétrolière du pays ; c’est bien plus que n’importe quel mouvement écologiste. Par leur action, ils ont changé le contexte : quel que soit l’idéologie dominante dans le pays, le pétrole était moins disponible de par leur action.

Pour une approche prudente

Je n’argumente certainement pas qu’un changement de mentalité est futile : il est bien entendu nécessaire de changer notre relation à la nature et de comprendre que nous en sommes une partie intégrante. Mais cela prend du temps, de la patience, des générations d’éducation.

Nous n’avons que peu de temps : la sixième extinction de masse est en cours, la moitié de l’humanité en jeu 7https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/biodiversite/climat-a-1-5-degre-de-plus-la-moitie-de-l-humanite-va-mourir-alerte-fred-vargas_3437663.html. Il me paraît hasardeux de postuler qu’un changement de comportement est sur le point d’advenir, quand 50 ans de communication écologiste ont échoué à avoir un quelconque impact. Il me paraît plus sage, en parallèle de l’effort de communication et de formation, d’agir pour un changement rapide de contexte •

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Samuel

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Militant écologiste, Samuel fait des conférences et interventions au sujet de la crise environnemental et des stratégies militantes.
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