La magie de l’efficacité énergétique

Se concentrer sur l’efficacité énergétique, c’est rendre les modes de vie actuels non négociables. Pourtant, c’est précisément eux qu’il est essentiel de transformer pour atténuer le changement climatique et réduire notre dépendance aux énergies fossiles.

Politique d’efficacité énergétique

L’efficacité énergétique est la pierre angulaire des politiques de réduction des émissions de CO2 et de la dépendance aux énergies fossiles dans le monde industrialisé. Par exemple, l’Union européenne (UE) s’est fixé pour objectif de réaliser 20 % d’économies d’énergie en améliorant l’efficacité énergétique d’ici 2020 et 30 % d’économie d’ici 2030. Les mesures prises pour atteindre ces objectifs prolifèrent : des certificats d’efficacité énergétique obligatoires pour les bâtiments, des normes d’efficacité minimales et l’étiquetage imposé de divers produits tels que les chaudières, les appareils ménagers, l’éclairage et la télévision, normes de performance pour l’émission de CO2 des voitures. [1]

L’UE dispose de la politique d’efficacité énergétique la plus avancée au monde, mais des mesures similaires sont maintenant appliquées dans de nombreux autres pays industrialisés, y compris la Chine. À l’échelle mondiale, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) affirme que « l’efficacité énergétique est la clé pour garantir un système énergétique sûr, fiable, abordable et durable à l’avenir ». [2] En 2011, l’organisation a lancé son scénario 450, qui vise à limiter la concentration de CO2 dans l’atmosphère à 450 particules par million. L’amélioration de l’efficacité énergétique représente 71 % des réductions des émissions de CO2 projetées d’ici 2020 et 48 % d’ici 2035 [2] [3].

Quels résultats ?

Les améliorations de l’efficacité énergétique conduisent-elles réellement à des économies d’énergie ? À première vue, les avantages de l’efficacité semblent impressionnants. Par exemple, l’efficacité énergétique d’une gamme d’appareils électroménagers couverts par les directives de l’UE a considérablement progressé au cours des 15 dernières années. Entre 1998 et 2012, les réfrigérateurs et les congélateurs ont gagné 75 % d’efficacité énergétique, les lave-linge 63 %, les sèche-linge 72 % et les lave-vaisselle 50 %. [4]

Cependant, la consommation d’énergie dans l’UE des 28 en 2015 n’était que légèrement inférieure à sa consommation d’énergie en 2000 (1 627 Mtep comparés à 1 730 Mtep, ou millions de tonnes d’équivalent pétrole). De plus, plusieurs autres facteurs peuvent expliquer la diminution (limitée) de la consommation d’énergie, en premier lieu la crise économique de 2007. En effet, après des décennies de croissance continue, la consommation d’énergie dans l’UE a légèrement diminué entre 2007 et 2014, pour ensuite augmenter à nouveau en 2015 et 2016, lorsque la croissance économique est revenue. [1]

À l’échelle globale, la consommation d’énergie ne cesse de croître, à un taux moyen de 2,4 % par an. [3] Il s’agit du double du taux de croissance démographique, tandis que près de la moitié de la population mondiale n’a qu’un accès limité, voire nul, aux sources d’énergie modernes. [5] Dans les pays industrialisés (OCDE), la consommation d’énergie par habitant a doublé entre 1960 et 2007 [6].

Effets rebond ?

Pourquoi les progrès en matière d’efficacité énergétique n’aboutissent-ils pas à une réduction de la demande en énergie ? La plupart des critiques se concentrent sur les « effets rebond » décrits à partir du XIXe siècle. [7] Selon l’argument de l’effet rebond, les améliorations d’efficacité énergétique incitent souvent à une plus grande utilisation des services que l’énergie contribue à fournir. [8] Par exemple, l’avancée de l’éclairage avec des diodes électroluminescentes (DEL), qui sont six fois plus efficientes que les ampoules à incandescence, n’a pas entraîné de diminution de la demande en énergie pour l’éclairage. Cela a entraîné six fois plus de lumière. [9]

Dans certains cas, les effets rebond peuvent être suffisamment importants pour entraîner une augmentation globale de la consommation d’énergie. [8] Par exemple, l’amélioration de l’efficacité des microprocesseurs a accéléré l’utilisation des ordinateurs, dont la consommation totale d’énergie dépasse maintenant celle des générations précédentes, qui disposait de microprocesseurs moins efficients. Les progrès de l’efficacité énergétique dans une catégorie de produits peuvent également entraîner une augmentation de la consommation d’énergie dans d’autres catégories de produits, ou bien la création d’une nouvelle catégorie de produits.

Par exemple, les écrans à DEL consomment moins d’énergie que les écrans à cristaux liquides et pourraient donc réduire la consommation d’énergie des téléviseurs. Cependant, ils ont également conduit à l’arrivée de panneaux d’affichage numériques, qui consomment une quantité d’énergie énorme, en dépit de l’efficacité énergétique de leurs composants. [10] Enfin, l’argent économisé grâce à l’amélioration de l’efficacité énergétique peut également être consacré à d’autres biens et services à forte consommation énergétique, ce que l’on appelle habituellement un effet rebond indirect.

Au-delà de l’effet rebond

L’UE et l’AIE ignorent l’effet rebond, ce qui pourrait expliquer en partie pourquoi les résultats ne correspondent pas aux projections. L’ampleur de l’effet rebond fait l’objet de vifs débats parmi les scientifiques. Certains affirment que « les effets rebond compensent souvent les économies d’énergie résultant d’une amélioration de l’efficacité énergétique » [3]. D’autres prétendent au contraire que les effets rebond sont « devenus une distraction », car ils sont relativement faibles : « les réactions comportementales réduisent de 5 à 30 % des économies d’énergie, ne dépassant pas 60 % lorsqu’elles sont combinées à des effets macro-économiques. L’efficacité énergétique permet bien d’économiser de l’énergie ». [11]

Ceux qui minimisent les effets rebond attribuent la faiblesse des économies d’énergie effectives au fait que nous ne nous donnons pas assez de moyens : « de nombreuses occasions d’amélioration de l’efficacité énergétique sont encore gâchées ». [11] D’autres pensent qu’il faudrait améliorer les politiques d’efficacité énergétique. Par exemple, certains suggèrent que le cadre de référence soit élargi et arguent que les analyses devraient considérer l’efficacité non pas de produits individuels, mais de systèmes ou de sociétés entières. De ce point de vue, l’efficacité énergétique échoue parce qu’elle n’est pas comprise dans un cadre suffisamment large, et elle n’est pas assez contextualisée. [12] [13]

Cependant, quelques critiques vont encore plus loin. Selon elles, les politiques d’efficacité énergétique ne peuvent pas fonctionner. Le problème de l’efficacité énergétique, disent-elles, est qu’elle établit et reproduit des modes de vie qui ne sont pas durables sur le long terme. [12] [14]

Un univers parallèle

Les effets rebond sont souvent présentés comme des conséquences « non intentionnelles », mais en réalité, ils découlent logiquement de l’abstraction nécessaire pour définir et mesurer l’efficacité énergétique. Selon Loren Lutzenhiser, chercheuse à la Portland State University aux États-Unis, les politiques d’efficacité énergétique sont si lointaines de la dynamique quotidienne d’utilisation de l’énergie qu’elles fonctionnent dans un « univers parallèle ». [14] Dans un article plus récent, la chercheuse britannique Elizabeth Shove analyse cet « univers parallèle », elle conclut que les politiques d’efficacité énergétique sont « contre-productives » et qu’elles « font partie du problème ». [12]

Pour commencer, dans l’univers parallèle de l’efficacité énergétique, on interprète les « économies d’énergie » d’une manière assez particulière : lorsque l’UE déclare qu’elle réalisera 20 % « d’économies d’énergie » d’ici 2020, elle ne définit pas les « économies d’énergie » comme une réduction de la consommation d’énergie réelle par rapport aux chiffres actuels ou historiques. En effet, une telle définition montrerait bien que l’efficacité énergétique ne réduit absolument pas la consommation d’énergie. Au lieu de cela, les « économies d’énergie » sont définies comme des réductions par rapport à la consommation d’énergie projetée en 2020. Ces réductions sont mesurées en quantifiant « l’énergie évitée » — les ressources énergétiques non utilisées en raison des progrès réalisés en matière d’efficacité énergétique.

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2. Les fausses solutions.

Même si les « économies d’énergie » prévues devaient être entièrement réalisées, elles ne déboucheraient pas sur une réduction absolue de la demande d’énergie. L’UE fait valoir que les progrès en matière d’efficacité énergétique équivaudraient « à la fermeture d’environ 400 centrales électriques » ; mais en réalité, aucune centrale ne sera éteinte en 2020 en raison des progrès réalisés en matière d’efficacité énergétique. Au lieu de cela, le raisonnement est que s’il n’y avait pas eu d’amélioration de l’efficacité énergétique, l’Europe aurait eu besoin de construire 400 centrales supplémentaires d’ici 2020.

En adoptant une telle approche, l’UE considère l’efficacité énergétique comme un carburant, « une source d’énergie à part entière ». [15] L’AIE va encore plus loin en affirmant que « la consommation d’énergie évitée par les pays membres de l’AIE en 2010 (permise par les investissements réalisés au cours de la période allant de 1974 à 2010) était supérieure à la demande réelle satisfaite par toute autre ressource, y compris le pétrole, le gaz, le charbon et l’électricité ». Elle fait ainsi de l’efficacité énergétique « le plus important ou le premier des carburants ». [16] [12]

Mesurer quelque chose qui n’existe pas

Traiter l’efficacité énergétique comme un carburant et mesurer son succès en termes d’« énergie évitée » est assez étrange. D’une part, il s’agit de ne pas utiliser un carburant qui n’existe pas. [14] En outre, plus la projection de la consommation d’énergie en 2030 est élevée, plus « l’énergie évitée » est grande. D’autre part, si la consommation d’énergie projetée en 2030 est inférieure à la consommation d’énergie actuelle (une réduction de la demande d’énergie), l’« énergie évitée » devient négative.

Une politique énergétique visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et la dépendance aux combustibles fossiles doit mesurer son succès en termes de réduction de la consommation de combustibles fossiles. [17] Cependant, en mesurant « l’énergie évitée », la politique d’efficacité énergétique fait exactement le contraire. Si la consommation d’énergie projetée est supérieure à la consommation d’énergie actuelle, c’est que la politique d’efficacité énergétique tient pour acquis que la consommation totale d’énergie continuera à augmenter.

L’autre pilier de la politique de lutte contre le changement climatique — la décarbonisation de l’approvisionnement en énergie, passant par le soutien de la production d’énergies renouvelables — présente des défauts similaires. Puisque l’augmentation de la demande totale en énergie est supérieure à l’augmentation de la production d’énergies renouvelables, les centrales solaires et éoliennes ne décarbonisent pas l’approvisionnement énergétique. Ils ne remplacent pas les centrales à énergie fossile, mais contribuent à répondre à une demande croissante en énergie. Ce n’est qu’en introduisant le concept d’« émissions de CO2 évitées » que les énergies renouvelables peuvent être présentées comme produisant l’effet recherché. [18]

Qu’est-ce qui est efficace ?

Dans son article « Quel est le problème avec l’efficacité énergétique ? », Elizabeth Shove démontre que le concept d’efficacité énergétique est aussi abstrait que le concept « d’énergie évitée ». L’efficacité consiste à fournir plus de services (chauffage, éclairage, transport…) pour le même apport d’énergie, ou bien les mêmes services pour un apport moindre d’énergie. Par conséquent, la première étape pour identifier les améliorations dépend de ce qui est considéré comme le « service » (qu’est-ce qui est efficace ?) et de la mesure de la quantité d’énergie impliquée (comment sait-on que « moins d’énergie » a été utilisée ?). Définir une référence par rapport à laquelle les « économies d’énergie » sont mesurées implique enfin de spécifier des limites temporelles (à partir de quand commence et fini la mesure de l’efficacité ?). L’argument principal de Shove est le suivant : la définition de limites temporelles (à partir de quand commence et fini la mesure de l’efficacité ?) définie automatiquement le « service » (qu’est-ce qui est efficace ?), et vice-versa. En effet, l’efficacité énergétique ne peut être définie et mesurée qu’entre services équivalents.

Shove se concentre sur le chauffage domestique, mais son argumentaire reste valable pour toutes les autres technologies. Par exemple, en 1985, l’avion moyen utilisait 8 litres de carburant pour transporter un passager sur une distance de 100 km, ce chiffre est passé à 3,7 litres aujourd’hui. Par conséquent, on nous dit que les avions sont maintenant deux fois plus efficaces. Cependant, si nous comparons la consommation de carburant d’un avion actuel avec celle de 1950, au lieu de 1985, les avions ne consomment pas moins d’énergie. Dans les années 1960, les avions à hélices ont été remplacés par des avions à réaction, deux fois plus rapides, mais consommant deux fois plus de carburant. Cinquante ans plus tard, l’avion à réaction est devenu tout aussi « économe en énergie » que les derniers avions à hélice des années 50. [19]

Si l’on considère l’efficacité énergétique dans un contexte historique plus large, le concept perd tout sens.

Sur quelle durée devrait-on mesurer l’efficacité énergétique ? Les avions à hélices doivent-ils être pris en compte ou doivent-ils être ignorés ? La réponse varie selon notre définition du service équivalent. Si le service est défini comme « voler », les avions à hélices doivent être inclus. Toutefois, si le service est défini comme « voler à une vitesse d’environ 1 000 km/h », nous pouvons éliminer les avions à hélices de l’analyse et nous concentrer sur les avions à réaction. Cependant, cette dernière définition suppose un service plus énergivore.

Si nous remontons encore plus loin dans le temps, par exemple jusqu’au début du XXe siècle, les gens ne se déplaçaient jamais en volant et il n’y aurait aucun sens à comparer les consommations de carburant par passager par kilomètre. Des observations similaires peuvent être faites pour de nombreuses autres technologies ou services devenus « plus efficients ». Si l’on considère l’efficacité énergétique dans un contexte historique plus large, le concept perd tout sens, car les services ne sont pas du tout équivalents.

La plupart du temps, il n’est pas même nécessaire de remonter très loin pour le démontrer. Par exemple, lorsque l’efficacité énergétique des smartphones est calculée, la génération précédente de « dumbphones », beaucoup moins énergivore, n’est pas prise en compte, alors même qu’ils étaient courants il y a moins de dix ans.

Quelle est l’efficacité d’une corde à linge ?

En raison de la nécessité de « comparer ce qui est comparable », et d’établir des équivalences de service, les politiques d’efficacité énergétique ignorent de nombreuses solutions alternatives à faible consommation d’énergie, dont l’histoire est longue, mais qui sont encore pertinentes dans le contexte du changement climatique.

Par exemple, l’UE a calculé que les étiquettes énergétiques pour les sèche-linge permettraient « d’économiser jusqu’à 3,3 TWh d’électricité d’ici 2020, soit l’équivalent de la consommation énergétique annuelle de Malte ». [20] Mais quelle consommation d’énergie serait évitée si d’ici à 2020, chaque Européen•ne utilisait une corde à linge au lieu d’un sèche-linge ? Ne le demandez pas à l’UE, car elle n’a pas calculé l’énergie évitée des cordes à linge.

Ni l’UE ni l’AIE ne mesurent l’efficacité énergétique et l’énergie évitée des vélos, des perceuses à main ou des sous-vêtements thermiques. Néanmoins, si les cordes à linge sont considérées comme une solution sérieuse, les 3,3 TWh d’énergie « économisée » grâce à des sèche-linge plus efficients ne peuvent plus être considérés comme de l’« énergie évitée », encore moins comme un carburant. De la même manière, les vélos et les vêtements chauds montrent l’absurdité du calcul de « l’énergie évitée » par des voitures et des chaudières à meilleur rendement énergétique.

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Que souhaitons nous défendre ? L’exemple des énergies "vertes"

Des concepts non durables de service

Le problème avec les politiques d’efficacité énergétique est qu’elles sont très efficaces pour reproduire et stabiliser des services intrinsèquement non durables. [12] Mesurer l’efficacité énergétique des voitures et des sèche-linge, mais pas celle des vélos et des cordes à linge, rend les modes de déplacement, ou de séchage des vêtements, rapides mais gourmands en énergie non négociables et marginalise du même coup des alternatives beaucoup plus durables. Selon Shove :
« Les programmes d’efficacité énergétique sont politiquement consensuels précisément parce qu’ils tiennent pour acquises les interprétations actuelles de “service”. La poursuite irréfléchie de l’efficacité énergétique pose problème, non pas parce qu’elle ne fonctionne pas ou parce que ses bénéfices sont absorbés ailleurs, comme le suggère le concept d’effet rebond. C’est au contraire parce qu’elle fonctionne très bien — à travers le concept nécessaire d’équivalence des services — pour maintenir, voire aggraver, en tout cas jamais affaiblir […] des modes de vie de plus en plus énergivores. »[12]

En effet, le concept d’efficacité énergétique s’adapte sans difficulté à la croissance future des services énergétiques. Toutes les nouveautés futures peuvent être soumises à une approche d’efficacité. Par exemple, si les chauffages de terrasse et les Jacuzzis deviennent « normaux », ils pourraient être intégrés à une politique d’efficacité énergétique existante ; une fois inclus, le problème de leur consommation d’énergie est considéré comme maîtrisé. Dans le même temps, définir, mesurer et comparer l’efficacité des radiateurs de terrasse et des Jacuzzis contribue à les normaliser. Pour couronner le tout, l’ajout de nouveaux produits consommateurs d’énergie ne fera qu’augmenter la consommation d’énergie « évitée » grâce à l’efficacité énergétique.

En résumé, l’UE et l’AIE ne considèrent jamais l’« énergie évitée » en faisant les choses différemment, ou ne les faisant pas du tout, alors même que cela a sans doute un bien plus grand potentiel de réduction de la demande en énergie. [12] Depuis le début de la révolution industrielle, il y a eu un accroissement massif de la consommation d’énergie, allant de pair avec une plus grande mécanisation des modes de production. Cependant, alors même que ces tendances lourdes provoquent une augmentation croissante de la demande en énergie, elles ne peuvent être mesurées à travers le concept d’efficacité énergétique.

Comme Shove le démontre, ce problème ne peut être résolu, car l’efficacité énergétique ne peut être mesurée que sur la base de services équivalents. Le défi est, selon elle, de « débattre et élargir les significations de ce que sont les services et de confronter explicitement la manière dont ils évoluent ». [12]

Vers une politique d’inefficacité énergétique ?

Il existe plusieurs moyens d’échapper à l’univers parallèle de l’efficacité énergétique. Le premier d’entre eux est assez contre-intuitif : alors que l’efficacité énergétique entrave la réduction significative de la demande d’énergie sur le long terme, en raison de la nécessité d’une équivalence de service, l’inverse est également vrai. Tout rendre plus énergivore inverserait la croissance des services énergétiques et réduirait la demande d’énergie.

Par exemple, si nous installions les moteurs à combustion interne des années 1960 dans les SUV modernes, la consommation de carburant par kilomètre parcouru serait bien supérieure à ce qu’elle est aujourd’hui. Peu de gens pourraient ou voudraient alors utiliser de telles voitures, et ils n’auraient d’autre choix que d’utiliser un véhicule beaucoup plus léger, plus petit et moins puissant, ou de conduire moins.

Tout rendre plus énergivore inverserait la croissance des services énergétiques et réduirait la demande d’énergie.

De même, si une « politique d’inefficacité énergétique » imposait l’utilisation de chaudières inefficaces, le chauffage de grandes maisons selon des critères de confort actuels serait inabordable pour la plupart des gens. Ils seraient obligés de trouver des alternatives pour atteindre le confort thermique, par exemple ne chauffer qu’une pièce, s’habiller plus chaudement, utiliser des appareils de chauffage personnels ou déménager dans une maison plus petite.

Des recherches récentes sur le chauffage des bâtiments confirment que l’inefficacité énergétique peut entraîner des économies d’énergie. Une étude allemande a examiné les notes de performance énergétique de 3 400 maisons, basées sur leur consommation théorique, et les a comparées à leur consommation réelle mesurée. [21] Conformément à l’effet rebond, les chercheurs ont constaté que les résident•es des habitations les plus efficientes (75 kWh/m2/an) consommaient en moyenne 30 % de plus d’énergie que ce que la théorie anticipait. Toutefois, pour les maisons moins efficientes, l’effet opposé a été observé : leurs habitant•es utilisent moins d’énergie qu’anticipé, et plus le logement est inefficace, plus cet écart s’élargit. Dans les logements les plus énergivores (500 kWh/m2/an), la consommation d’énergie était inférieure de 60 % au niveau prévu.

De l’efficacité à la suffisance ?

Si abandonner — ou inverser — les politiques d’efficacité énergétique apporterait sans doute plus d’économies d’énergie que les poursuivre, une autre option plus attrayante pourrait entraîner des économies d’énergie encore plus importantes. Pour une approche politique efficace, l’efficacité peut être intégrée à une logique de « suffisance » énergétique. L’efficacité énergétique vise à augmenter le rapport entre la production de service et la consommation d’énergie, tout en maintenant les services au moins constants. La suffisance énergétique, en revanche, est une stratégie qui vise à réduire la croissance des services énergétiques. [4] Il s’agit essentiellement d’un retour aux politiques de « conservation » des années 1970. [14]

La suffisance peut impliquer une réduction des services (moins de lumière, moins de déplacements, moins de vitesse, des températures intérieures plus basses, des maisons plus petites), ou une substitution des services (un vélo au lieu d’une voiture, une corde à linge au lieu d’un sèche-linge, des sous-vêtements thermiques au lieu de chauffage central). Contrairement à l’efficacité énergétique, les objectifs politiques de la suffisance énergétique ne peuvent pas être exprimés en variables relatives (telles que kWh/m2/an). Au lieu de cela, l’accent est mis sur des variables absolues, telles que la réduction des émissions de carbone, de l’utilisation de combustibles fossiles ou de l’importation de pétrole. [17] Contrairement à l’efficacité énergétique, la suffisance énergétique ne peut pas être définie et mesurée en examinant un seul type de produit, car la suffisance peut impliquer diverses formes de substitution. [22] Au lieu de cela, une politique de suffisance énergétique se définit et se mesure en regardant l’activité réelle des gens.

Une politique de suffisance pourrait être menée sans politique d’efficacité, mais leur combinaison pourrait générer des économies d’énergie plus importantes. Selon Shove, l’essentiel est de penser à l’efficacité énergétique comme un moyen plutôt que comme une fin en soi. [12] Par exemple, imaginez combien d’énergie pourrait être économisée si nous utilisions une chaudière efficiente pour chauffer une pièce à 16 degrés, si nous installions un moteur économe en énergie dans un véhicule beaucoup plus léger ou si nous combinions des douches à économie d’énergie avec des douches moins nombreuses et plus courtes. Bien entendu, alors l’efficacité énergétique est considérée comme une stratégie « gagnant-gagnant », développer la suffisance énergétique comme un concept politique revient à formuler des jugements normatifs : ce niveau de consommation est le bon, celui-ci est trop important. [23] Cela risque de susciter des controverses, et de mener à des politiques autoritaires, du moins tant que l’approvisionnement en combustibles fossiles est bon marché •

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Low Tech Magazine

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Low tech magazine est un blog critique envers le solutionnisme technologique écrit par Kris de Decker. Il y souligne également le potentiel de technologies anciennes et souvent oubliées Le présent article est une traduction de l’original, disponible en anglais sur www.lowtechmagazine.com
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